Surgie au détour des Mille-Îles, Tar Island chamboule toutes nos représentations. Pourquoi retrouve-t-on, plantés au cœur du Saint-Laurent, de majestueux totems sculptés d’une autre époque, d’un autre continent ? Un souffle particulier plane sur ce bout de terre : ici, les ombres des forêts rencontrent la mémoire d’artisans de la côte Pacifique, et nous voilà embarqués dans un voyage singulier, quelque part entre l’histoire détournée et la contemplation brute d’un paysage encore sauvage. La curiosité nous brûle, l’envie de comprendre nous pousse. Ceux qui traversent ces rivages le savent : Tar Island n’est pas une escale de plus – c’est une énigme, une invitation à regarder autrement ce que l’Ontario cache de plus inattendu.
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ToggleL’histoire surprenante des totems de Tar Island
Sur Tar Island, rien n’est tout à fait ordinaire. Des familles new-yorkaises, fortunées et éprises de collection, ont été fascinées assez tôt par ces œuvres de lointains horizons. En 1905, la famille Eaton s’installe sur la pointe ouest de l’île, édifie sa demeure d’été, et hisse le tout premier totem ramené du nord-ouest du Canada. Ces totems, sculptés par les peuples Tlingit et apparentés, étaient alors recherchés non pour leur sens sacré, mais comme trophées d’un monde qu’on voulait dompter jusque dans son imaginaire.
D’autres familles suivront : la propriété passe entre les mains de G. E. Thing en 1920, puis du clan Hewitt, tous gardant la tradition du totem et donnant son nom à Totem Lodge ou Totem Point. Chaque été, ces visiteurs de la côte Est américaine allaient chercher plus loin, rapportant parfois des objets venus d’Égypte ou d’Arizona, mais les mâts totémiques sourient encore à ceux qui tentent de lire une identité dans cette accumulation bigarrée. Le décalage fascine : ces sculptures indigènes, témoins du passé, veillent maintenant sur des berges où leurs mythes ne sont pas nés – mais où ils intriguent et questionnent, année après année.
Comment accéder à Tar Island depuis Rockport
L’accès à Tar Island ne s’improvise pas. En regardant la carte, l’île s’allonge au nord de Rockport, dans cet entrelacs d’îlots minuscules, à une poignée de kilomètres de la frontière américaine. Depuis la 1000 Islands Parkway, plusieurs mises à l’eau sont à disposition. Nous choisissons d’embarquer à Rockport, ce village où flotte encore le parfum d’aventure fluviale. Pas de transport public : ici, tout se gagne à la rame ou au moteur, par bateau privé, bateau-taxi ou croisière organisée.
Les croisières locales offrent l’occasion d’admirer la silhouette des totems sans forcément mettre pied à terre, mais pour s’y arrêter vraiment, il faut une embarcation adaptée. Nous conseillons de préparer un GPS (coordonnées approximatives : 44.341497, -76.189569), d’estimer la navigation depuis le rivage. Tar Island est à cinq minutes du port de Rockport, dix minutes de Gananoque, mais la beauté du trajet invite à prendre son temps, à observer les roselières et les cormorans, avant d’apercevoir les cèdres et les mâts multicolores surgir.
Les trois totems de Totem Point : que représentent-ils ?
Amarrée au ponton, la barque tangue. Là, dressés sur la berge, trois totems se détachent sur le ciel. Leurs formes racontent déjà une histoire de migrations culturelles : figures d’aigle au regard perçant, ours solennel, représentation du corbeau, éternel trublion dans de nombreux mythes autochtones. Ces sculptures, dans leur verticalité, portent chacune la mémoire d’un clan ou d’une famille – non pas des Mille-Îles, mais des rivages de la Colombie-Britannique ou de l’Alaska.
Les traditionnels mâts totémiques sont taillés dans le cèdre rouge, choisi autant pour sa résistance que pour sa portée symbolique. Ils racontent la filiation, les alliances, les souvenirs d’un exploit mémorisé, ou signalent simplement la puissance d’un chef. Sur Tar Island, ils prennent une dimension inédite : vestiges transplantés, ils déjouent la logique du temps et de l’espace. Ce paradoxe attire : d’un côté, la beauté de l’objet ; de l’autre, sa désorientation, fascinante.
Activités nautiques autour de l’île
Le Saint-Laurent invite à la rêverie, mais il ne laisse jamais longtemps les mains dans les poches. Dès qu’on s’approche de Tar Island, toutes les activités aquatiques s’offrent à nous : pagayer au ras de l’eau, longer les rochers en canot, défier les ferrys sur un petit voilier, ou pêcher la perchaude à l’heure où la lumière coule sur la rivière. Renoncer à géométrie urbaine, s’autoriser à errer d’îlot en îlot, voilà ce qui forge les souvenirs les plus forts.
Quelques marinas environnantes nous tendent les bras avec une offre variée. Avant de plonger dans l’action, voici une sélection des équipements disponibles qui facilitent notre séjour :
- Kayaks simples ou doubles, parfaits pour explorer les criques secrètes ;
- Paddleboards pour admirer les totems depuis l’eau, debout, au rythme de la rivière ;
- Canots traditionnels, pour une approche lente, silencieuse et immersive ;
- Moteur de location pour ceux qui veulent atteindre les îles sans effort ;
- Matériel de pêche sportive, réputé dans la région pour la diversité des prises.
Ces options dessinent un archipel à taille humaine – on choisit, on s’adapte, on change de cap au gré du vent.
Rockport et les villages des Mille-Îles à découvrir
Rockport, quel étrange petit port, mélange de simplicité et de mémoire, d’Amérique et de vieux continent. Par sa marina minuscule, c’est toute l’histoire de la navigation sur le Saint-Laurent qui s’offre à nous. Ici, on embarque vers l’archipel, direction le château Boldt, les excursions commentées, ou simplement la table d’un restaurant ancré sur le quai.
Aux beaux jours, la vie bourdonne : Gananoque expose ses galeries d’art, Brockville s’illustre avec ses musées et ses ruelles fleuries. Les villages rivalisent de charme, chacun possédant ce je-ne-sais-quoi qui éveille la curiosité. Les adresses gourmandes promettent de vraies rencontres : pas de faux-semblant, juste une ambiance de vacances et d’authenticité sous-jacente. On s’y sent accepté, à condition de savoir prendre le temps.
Les autres îles remarquables de l’archipel
On croit parfois que Tar Island serait unique dans son étrangeté. Pourtant, l’archipel réserve d’autres surprises. Heart Island, avec son château Boldt, compile la démesure amoureuse d’un homme persuadé d’impressionner sa muse. Dark Island, moins tapageuse, abrite le château Singer dans un décor plus feutré. On devine aisément, en glissant de l’une à l’autre, combien chaque île s’invente une identité contradictoire.
Là où l’opulence et la légende s’affichent, Tar Island préfère le mystère et l’écart. Les cottages centenaires, entrouverts derrière les saules, s’opposent à la fréquentation massive d’autres îles. Nous savons qu’il y a, à travers le labyrinthe des Mille-Îles, mille manières de découvrir le fleuve, à condition de ne pas toujours choisir la facilité.
Meilleure période pour visiter Tar Island
L’été se prête aux températures clémentes et aux eaux pratiquables : de juin à début septembre, la navigation règne ici en maîtresse. Les longs jours invitent à multiplier les départs, les haltes au fil de la lumière changeante, les bains impromptus entre deux pagayages. L’enthousiasme des visiteurs monte en flèche, il faut parfois jouer des coudes pour trouver le calme.
Dès l’automne, le spectacle des feuillus en feu achève de convaincre les curieux. Les couleurs flamboyantes métamorphosent le paysage, et ceux qui braveront l’air plus vif goûteront à une île presque déserte, livrée à la contemplation. À l’inverse, l’hiver ferme la porte : le fleuve gèle, rares sont ceux qui persistent, la nature reprend ses droits sans public.
Tar Island porte fièrement sa contradiction – ces totems du Pacifique plantés loin de leurs racines en Ontario ne sont pas une simple curiosité : ils incarnent la folie douce de collectionneurs croyant détenir le monde, tout en soulignant la force des mystères qui ne se laissent jamais réduire. Ici, tout est déplacement, tout est paradoxe, et rien n’égale la puissance d’un regard neuf posé sur ce fragment d’exil artistique, somme toute, envoûtant.